La considération de la santé mentale sur le marché du travail suisse

Pourquoi l’OFSP ne parle jamais de santé mentale liée au Covid-19 ? Sensibiliser et donner des conseils sur comment gérer les effets collatéraux à l’isolement, à la perte d’emploi, la peur de la maladie ou tout simplement à l’incertain de la situation. C’est ce qu’a relevé le 20 octobre dernier un journaliste suisse qui a lancé un appel à la prise de conscience directement auprès de l’OFSP sur Twitter.

En pleine recrudescence des cas positifs cet automne 2020, la Suisse doit faire face certes, aux conséquences économiques et sanitaires de cette deuxième vague mais prend-elle suffisamment en compte la santé psychologique de ses citoyens ? Cette situation fait d’autant plus sens en se questionnant de savoir si la Confédération connaît les enjeux de la santé mentale au travail et met des dispositifs en place à cet effet.

Mesures juridiques

En droit suisse, la protection de la personnalité du travailleur, y compris la protection de la santé de ce dernier est notamment réglementée par le Code des obligations, la loi sur le travail, la loi sur l’assurance-accidents et la jurisprudence.

Selon le Code des obligations, c’est l’employeur qui a le devoir de prendre des mesures afin de protéger l’intégrité psychique du travailleur. L’entreprise a également un devoir d’assistance envers ses employés et par conséquent, d’écoute. Par ailleurs, l’institution doit veiller à informer ses travailleurs sur les notions psychologiques qui peuvent résulter d’une atteinte à la personnalité.

La loi sur le travail a pour but de protéger les travailleurs des dangers pour la santé résultant de mauvaises conditions de travail. Elle informe à propos de la durée maximale de travail et de repos et précise les devoirs des employeurs concernant la protection de la santé.

Ces mesures sont ciblées au niveau de la prévention des risques psychosociaux sur le lieu de travail, aux relations entre collègues et avec les supérieurs. Par conséquent, la loi prévoit un appui et un suivi clair tant à la protection de l’intégrité du travailleur sur son lieu de travail. Néanmoins, les employeurs l’assument principalement par rapport aux risques physiques pour leurs employés.

Santé mentale et emploi

En Suisse, les personnes souffrant de troubles psychiques comme l’anxiété, la dépression ou encore des troubles addictifs ont souvent des difficultés à eux-mêmes prendre l’initiative de demander de l’aide. La santé mentale est trop souvent mise à l’écart au profit de la productivité et du maintien d’un certain statut professionnel.

Les maladies psychiques passent trop souvent inaperçues ou sont perçues trop tard comme telles par les supérieures hiérarchiques ou les responsables du personnel. On peut en conclure que les cadres n’étaient ou ne sont en général guère en mesure de faire face à ce type de situation.

L’Observatoire suisse de la santé (OBSAN) définit la santé psychique dans un rapport publié en 2016 :

 « La santé psychique englobe des aspects tels que le bien-être personnel, la joie de vivre, la confiance en soi, la capacité relationnelle, l’aptitude à surmonter les difficultés habituelles de l’existence et à fournir un travail productif, de même que la capacité de participer à la vie en société. »

Cette conception correspond à la définition de l’OMS :

« La santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté »

Dans les deux définitions, il y a la notion de « travail productif » et de « bien-être ». En Suisse, on ne voit pas souvent ces deux termes associés. La philosophie de dur labeur est restée ancrée dans les esprits. Historiquement, le travail productif était associé de manière très caricaturale aux tâches pénibles, longues et éreintantes. Au contraire du bien-être qui était lié à la paye de la fin du mois qui permettait de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille.

Le défi de la réinsertion

Cependant, la vision du travail depuis la révolution industrielle et le début de la mondialisation a progressivement évoluée. Dans l’esprit occidental aujourd’hui, plus qu’un gagne-pain, le travail a de plus en plus de poids dans son développement personnel, pour la construction de son identité et pour son intégration sociale. C’est pourquoi, la gestion de la santé en entreprise doit absolument tenir compte de ces développements et faire les modifications nécessaires au niveau législatif.

De plus, repérer à temps les problèmes psychiques au travail et faire appel suffisamment tôt à des professionnels peut éviter une dégradation de la situation et ainsi contribuer à maintenir l’employé à son poste. L’intérêt est également économique. Selon une étude de l’OMS, chaque dollar investi dans le traitement des troubles mentaux génère en retour quatre dollars sous forme d’une meilleure santé et d’une hausse de la productivité du travail. En effet, les personnes affectées craignent souvent de perdre leur emploi et la stigmatisation rend leur vie professionnelle plus difficile.

Les expériences d’impuissance, l’absence de perspectives et la discrimination sont des facteurs émotionnels qui jouent un rôle primordial dans la qualité de vie des personnes souffrant de troubles mentaux.

Dédramatiser la maladie mentale

Toutefois, la perception des troubles psychiques en Suisse dans l’opinion publique répond encore de beaucoup de préjugés. La méconnaissance est le point sensible, la population développe des réserves à l’égard de ces malades perçus comme imprévisibles ou voir même violents. La stigmatisation d’origine extérieur se répercute fréquemment sur la personne concernée qui l’intériorise, ce qui peut les conduire à développer des sentiments de honte et à perdre l’estime d’elles-mêmes.

Cette spirale négative contribue à maintenir les souffrants silencieux et leur entourage mal renseigné. La population helvétique n’aime pas aborder ouvertement des problèmes de stress et de souffrance au travail. Consulter un thérapeute ou un psychologue, c’est tabou. Pourtant, un suivi psychologique à long ou court terme peut s’avérer extrêmement positif et peut permettre aux patients de mieux gérer leurs épreuves. Dans une société terrée dans le silence et dissimulant ses sentiments, parler et être écouté est la clé de la prévention et du suivi de la santé mentale.

Depuis les années 2000, on admet progressivement que tout un chacun peut avoir un “accident de santé mentale”. Les burnout ou syndrome d’épuisement professionnel sont diagnostiqués et enfin reconnus au sein des entreprises et par l’AI.

Prévention et détection

La Confédération est peu active en la matière. Cela ne rentre pas dans son cahier des charges car la législation ne contient pas de base légale pour la prévention et la détection précoce des maladies psychiques.

 Toujours est-il, le Conseil fédéral, dans sa stratégie « Santé2020 », se déclare partisan de renforcer et de davantage coordonner les activités existantes de promotion de la santé, de prévention et de dépistage précoce.

Concrètement, il faut :

« Promouvoir la santé psychique ainsi qu’améliorer la prévention et le dépistage précoce des maladies correspondantes afin d’en réduire l’incidence et, en particulier, éviter l’exclusion du monde du travail des personnes atteintes ».

Les dispositifs d’intervention doivent porter une attention particulière aux périodes de transition ainsi qu’aux événements critiques comme la mort d’un proche ou un chômage de longue durée

Situation COVID-19

La situation de 2020 souligne d’autant plus les dommages collatéraux dus à la négligence de la santé mentale au sein de la population.

En effet, l’inquiétude de la perte de l’emploi et la peur du virus ont des conséquences directes sur les personnes touchées. Ainsi, mises en quarantaine, elles sont non-seulement isolées physiquement mais aussi psychologiquement. Ce qui entraîne en outre une perte de confiance, le stress, un état dépressif, la perte de motivation ou encore des difficultés de sommeil. Le suivi par les autorités médicales est purement au niveau des symptômes physiques mais les citoyens ne sont pas accompagnés psychologiquement durant cette période qui peut être très mal vécue.

Malgré le traumatisme collectif, la Suisse a vu naître des mouvements de solidarité considérables dans tout le pays. Maintenir les liens sociaux est essentiel pour garantir un bien-être général. Il devient encore plus crucial de témoigner son attention ou son affection aux autres en l’absence de moyens alternatifs. Les mots et la parole peuvent se substituer en grande en partie aux signes physiques de tendresse.

En définitive, la considération de la santé mentale sur le marché du travail en Suisse en est aux prémices de sa réflexion. Bien qu’il y aille des initiatives d’Institutions publiques ou privées d’intégrer la dimension psychique dans leur stratégie, l’élan doit également venir de l’évolution de la mentalité de la population à l’égard des troubles mentaux.  La prévention, l’information et surtout l’intervention sont les piliers de l’appel à l’action qui vise les autorités, les professionnels et la Confédération. Une économie saine ne repose pas uniquement sur le facteur productivité de la population active. Pour que celle-ci dure, un suivi de la santé psychologique est à élaborer d’urgence. Un État fort économiquement mais ayant des travailleurs fragiles et sollicités a une durée de vie intense mais courte. Au contraire, si un gouvernement mise sur du long terme, l’entretien du bien-être de sa population doit être en haut de ses priorités. Économie et santé mentale sont étroitement liés.

Sources

Sites Internet :

  • Wikipédia :
  • MANIFESTE SUISSE relatif à la Public Mental Health,

file:///C:/Users/locar/Downloads/Manifeste_Suisse_relatif_a_Public_Mental_Health-002_1.pdf, 15.10.20.

  • La santé psychique en Suisse,

https://www.obsan.admin.ch/sites/default/files/publications/2017/obsan_72_rapport.pdf, 20.10.20.

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